LA FIÈVRE DU QIGONG


L'évolution du qiqong en Chine peut être transposée à celle des arts martiaux et à l'histoire mouvementée de ce pays. A travers l'étude de cette pratique c'est l'histoire de la Chine qui se dessine: la façon dont la pratique a évolué et a été ressentie est symptomatique de l'ambiance et du contexte politique de l'époque (1949-1999).

Quelques explications

Qi signifie souffle et Qong travailler (en fait il est composé de deux caractères travailler et force) et désigne au départ une technique de respiration.

La Chine est immense et accéder à un médecin peut se révéler compliqué surtout dans les années 40, donc rien d'étonnant à ce que le qiqong se soit d'abord développé en tant que méthode thérapeutique. Il y a initialement à peu près autant de qiqong que de familles. S'est donc développé ce que l'auteur appelle une «culture corporelle». C'est une sorte d'équivalent de nos recettes de grands-mères. Or le qiqong a peu à peu pris de l'importance et ce en dehors de toute maîtrise gouvernementale, ce qui à l'époque passe mal. Comprenant son importance pour le peuple, les dirigeants politiques décident donc de l'instrumentaliser et tentent d'en faire «une pratique d'État». le qiqong devient alors un symbole de la culture traditionnelle Chinoise en opposition à l’occidentalisation. Pendant un certain temps cela va fonctionner jusqu'à ce que Mao s'en mêle. Tout ce qui a l'air trop folklorique et trop traditionnel va alors être évincé au profit de pratiques s'appuyant sur des références scientifiques ce qui provoque une rupture radicale avec l'aspect traditionnel de la pratique notamment concernant la transmission. Tout va être cadré, seules les personnes autorisées auront la possibilité d'enseigner. Il faut être adoubé par le parti pour avoir le droit de pratiquer le qiqong et surtout de l'enseigner. Ce qui appartenait au peuple et s'inscrivait dans une tradition millénaire va être rationalisée et institutionnalisée. Cela provoque une rupture radicale avec l'aspect traditionnel de la pratique notamment dans sa transmission. La conséquence est une grande perte de savoirs et de de certains courants.

D'abord uniformisé puis débarrassé de son folklore, de sa tradition, le qiqong a été appauvrit dans un souci de crédibilité aux yeux notamment des occidentaux. Ce qui peut paraître paradoxal puisque initialement le but est la lutte contre l'occidentalisation. L'avantage est que ce désir d'être reconnu a permis d'obtenir les premières preuves scientifiques de l'influence bénéfique du qiqong. De sérieuses études sont menées à cette époque.

Mais la pratique encadrée n'est pas du goût de tous. Pratiqué en secret le qiqong connaît un renouveau dans les années 70, 80, où il s'inscrira dans le mouvement patriotique pour la santé. Le qiqong et l’État Chinois, c'est un peu je t'aime moi non plus ! La conséquence est que là où il y avait une diversité (environ 3000 qiqong différents) il y a maintenant une concurrence entre les différentes écoles. Vont naître des associations et des fédérations qui ne feront que renforcer cette concurrence. C'est le début de guerres intestines pour occuper des postes importants au sein de l'association nationale de médecine chinoises. Heureusement la transmission familiale demeure, elle est essentielle.

Initialement le qiqong est «un ensemble coordonné et structuré de techniques respiratoires, de méditation et de gymnastique, présenté de manière simple et concrète et souvent à l'aide d'illustrations. Toute personne peut essayer de le pratiquer sans obligation de croire dans le maître ni d'adhérer à sa lignée».
Une pratique qui laisse donc une grande liberté dont les bienfaits sur la santé sont reconnus scientifiquement. Pourtant peu à peu il y a un glissement vers quelque chose de plus ésotérique qui confine au paranormal ce qui a contribué à discrédité la pratique. Un mouvement notamment a pris une ampleur nationale et a eu une grande influence : le Falun gong qui n'est autre qu'un mouvement sectaire. On passe d'un objectif simple: demeurer en bonne santé à quelque chose de beaucoup plus ésotérique: la purification du cœur et le salut spirituel. L'idéologie religieuse remplace la pratique corporelle et l'aspect thérapeutique. La pratique physique est reléguée au second plan, il faut lire le livre (le Zhuan Fallun) et apprendre la grande loi. L'idéologie s'appuie sur un refus du monde moderne et des nouvelles technologies qui seraient l'instrument destiné à nous asservir afin que les extraterrestres puissent posséder nos corps !

Li Hongzhi créateur de ce mouvement se présentait d'ailleurs comme le sauveur de l'humanité. Au-delà de l'amalgame entre qiqong et religion on tombe complètement dans la dérive sectaire.

Heureusement, par ailleurs le qiqong a continué à se développer en dehors de toute considération politique ou religieuse, son essence ne se trouvant ni dans l'un ni dans l'autre. Il n'en est toutefois pas ressorti indemne. Cette pratique ancienne ne s'est pas perdue malgré les nombreuses tentatives de récupération qui dénotent d'ailleurs de son importance aux yeux des Chinois. Elle garde pourtant encore aujourd'hui les stigmates de ce passif ; une connotation religieuse et ésotérique lui colle à la peau alors même que ses bienfaits sont aujourd'hui reconnus scientifiquement et utilisés dans le milieu médical, notamment pour atténuer la douleur et maintenir une activité physique chez les personnes affaiblies.